Qu’est-ce que la directive va changer en termes de droit à la consommation en France ?

  • AFUTT : Redéfinir le périmètre du Service Universel et protéger les petites entreprises.

    Bernard Dupre,
    Président de l'AFUTT

    Le marché des communications électroniques que nous appelons couramment les télécommunications, est un marché très encadré et réglementé depuis son ouverture à la concurrence en 1998.

    L’objectif consiste tout à la fois à créer les conditions d’une dynamique économique forte dans ce secteur et à établir un marché sain et loyal, au bénéfice des consommateurs.

    Cette politique s’élabore au sein de l’Europe, et le code européen des communications électroniques adopté en décembre 2018 par le parlement et le conseil européen scelle définitivement le processus d’harmonisation sur ces sujets au sein des pays membres de l’Union. Il présente, par ailleurs, des avancés réglementaires très intéressantes.

    Au nombre de ces évolutions, l’AFUTT a retenu principalement deux orientations qui vont pleinement dans le sens souhaité par notre association.

    Le code invite à une redéfinition du périmètre du service universel

    Depuis leur invention, les télécommunications relient les hommes entre eux, et jouent un rôle essentiel, structurant, et parfois vital dans nos sociétés. La crise sanitaire et économique que nous traversons a renforcé cette évidence et mis en lumière une vérité nouvelle : clairement le téléphone ne suffit plus à satisfaire nos besoins de communication.
    Chacun de nous, en tous lieux, doit pouvoir disposer de connexions à haut débit, performantes, fiables et à un coût abordable afin de bénéficier des services et applications du numérique devenus essentiels dans nos vies économiques et sociales.

    C’est à peu près en ces termes que l’article 84 du code européen définit les contours d’un nouveau service universel, et demande aux états membres de le spécifier sur leur territoire.

    La tache est excitante ; à la hauteur des enjeux. Il est fort judicieux de partir des usages avant que de fixer un débit (montant et descendant) et une qualité à atteindre. Et c’est bien ainsi que le code demande de procéder en indiquant que : « le service d’accès adéquat à l’internet à haut débit doit être capable de fournir le débit nécessaire pour prendre en charge au moins un ensemble minimal de services », lesquels services sont ensuite listés en annexe. On y trouve entre autres, la messagerie électronique, la vidéo conférence, les télé-procédures, l’achat en ligne de biens ou de services, ou encore l’accès aux réseaux sociaux.

    La protection des petites entreprises

    L’autre avancée significative à nos yeux, concerne la réglementation du marché des télécoms d’entreprise. En effet, le code élargit pour partie, la protection des consommateurs aux micro-entreprises, petites entreprises (jusqu’à 50 salariés), et associations.

    Ainsi, bien que conclue entre professionnels, la formation des contrats et les informations pré-contractuelles dans le domaine des communications électroniques relèveront désormais des dispositions prévues par le code de la consommation en la matière, lesquelles seront reformulées à l’occasion de la transposition du Code européen en droit français.

    L’AFUTT qui consacre depuis plusieurs années une part importante de son action en direction des petites entreprises, pour les informer et les accompagner dans leur équipement en produits et services de télécommunications, salue cette évolution positive du droit en faveur de cette catégorie de « consommateurs » qui n’a, bien souvent, pas plus de poids et de compétences que le grand public pour négocier avec les fournisseurs télécoms.

  • DGCCRF : Mieux informer et protéger le consommateur français

    Philippe Sauze,
    Adjoint au Chef du Bureau 6B Médias, communications électroniques, culturel, économie de la donnée (DGCCRF)

    Pourquoi un code des communications électroniques européen ?

    Cette directive (Directive 2018/1972 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen ) a pris le nom de code car elle regroupe les dispositions de plusieurs directives datant de 2002 et de 2009. Les négociations de ce texte ont débuté en 2016 et il a été adopté le 11 décembre 2018. Cette directive comporte des dispositions sur de nombreux aspects du secteur des télécoms (les règles générales du secteur, réseaux, services) et seuls quelques articles concernent directement les consommateurs. La transposition de cette directive, d’harmonisation maximale pour ce qui concerne les droits des utilisateurs finaux, modifiera la plupart des articles du code de la consommation qui encadrent les contrats de communications électroniques (articles L. 224-26 à L. 224-42).

    En ce qui concerne la protection des consommateurs, cette directive sera transposée par ordonnance au 1er semestre 2021 conformément à l’article 38 de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique.

    Quels sont les principaux apports de ce texte pour les consommateurs ?

    Le code introduit la notion d’offres groupées en droit interne : dès lors qu’une offre groupée de service proposée à un consommateur comprend un service d’accès à internet ou un service de communication interpersonnelle fondé sur la numérotation des dispositions spécifiques de la directive s’appliqueront à tous les éléments de cette offre groupée.

    Une autre disposition importante est la création d’un "récapitulatif contractuel" qui devra comporter les principales informations relatives à l’offre. Le récapitulatif permettra également aux consommateurs de comparer aisément les offres entre les différents fournisseurs. Il s’agit pour partie d’une consécration des fiches d’informations standardisées que connaissent bien les consommateurs français.

    Afin de mieux protéger les consommateurs, la directive prévoit une meilleure information du consommateur sur les conséquences, en termes de budget ou de niveau de consommation, de l’usage de services de communications électroniques. Les opérateurs de communications électroniques devront informer les consommateurs sur le niveau de consommation dans le cadre de leur forfait. Les consommateurs pourront également refuser que leur abonnement à un service de communications électroniques puisse servir pour la facturation de services tiers.

    Quelles sont les règles nationales qui ne changeront pas ?

    Conformément à la directive, les consommateurs français conserveront les principales règles structurantes encadrant ce marché, notamment des durées d’engagement ne pouvant dépasser 24 mois et la possibilité de résilier au bout de 12 mois en payant le quart des sommes restant dues. Pour leur part, les opérateurs seront toujours en mesure de modifier unilatéralement le contrat, et les consommateurs pourront alors toujours résilier sans frais.

    Enfin, en ce qui concerne la médiation dans le secteur des communications électroniques, le code s'appliquera sans préjudice de la directive relative au règlement extrajudiciaire des litiges.

  • FFTélécoms : Une opportunité manquée

    Michel Combot,
    Directeur Général de la Fédération Française des Télécoms

    Fondée en 2007, la Fédération Française des Télécoms représente 18 opérateurs de communications électroniques, et agit au niveau français et européen afin de promouvoir un cadre législatif et réglementaire respectueux des usagers et de l’intérêt public, tout en favorisant l’innovation.

    Le code européen des communications électroniques, très attendu par le secteur, avait, à l’origine, une vocation multiple : permettre de disposer d’un cadre équitable de régulation avec les OTT, soutenir l’ambition industrielle en Europe en matière de réseaux, simplifier drastiquement la charge administrative pesant sur les opérateurs, et enfin poursuivre l’harmonisation au sein du marché unique européen.

    Force est de constater que la directive est déceptive, malgré certains points positifs tels qu’un renforcement de la prévisibilité en matière d’allocation du spectre, ou la consécration au niveau européen du modèle français de co-investissement en matière de fibre. En pratique, nous constatons que notre secteur reste fortement réglementé, bien plus que les services en OTT tels que les GAFAs, tendance que nous constatons également en droit de la concurrence ou en droit fiscal.

    Pour notre Fédération et ses membres, le code européen aurait dû tracer de nouvelles perspectives ambitieuses en matière de politique industrielle innovante afin de faire émerger des champions européens du numérique. Le code est ainsi dépourvu de dispositions visant à garantir la souveraineté numérique et à diminuer la dépendance technologique de l’Europe. Aucune disposition ne concerne la sécurité des réseaux ou le soutien à la recherche dans un contexte de concurrence mondial avec le déploiement de la 5G.

    En outre, nous constatons que la transposition du code européen n’a pas atteint l’objectif de simplification poursuivi par la directive et le principe de libre concurrence au sein du marché unique du droit européen, oubliant même parfois d’inclure les services en OTT dans certaines obligations. Enfin, nous constatons une tendance forte à la surtransposition, notamment en droit de la consommation alors même que cette partie de la directive est dite « d’harmonisation maximale ». De même, l’extension de certaines dispositions à toutes les entreprises sans prendre en compte les réalités opérationnelles méconnait le principe de prévisibilité et de proportionnalité.

    Engagée de longue date en matière de droit de la Consommation, la FFTélécoms estime plus particulièrement que la transposition du Code des Communications Electroniques Européen était l’occasion d’établir un équilibre stable entre les consommateurs d’une part et les opérateurs d’autre part. Force est de constater que tel n’est pas le cas.

    Enfin, les retards pris dans le calendrier de transposition ne laissent que très peu de temps aux opérateurs pour mettre en œuvre ces nouvelles dispositions. En effet, les modifications du droit de la consommation sont suffisamment substantielles pour entrainer une modification de l’ensemble des systèmes d’information gérant les contrats entre les consommateurs et les opérateurs.

    Gageons que le dialogue entre les administrations, les opérateurs et la société civile pourra être renforcé en matière de réseaux et services de communications électroniques et surtout inclure l’ensemble de la chaîne de valeur numérique. C’est d’ailleurs un impératif pour une année 2021 qui sera placée sous le signe de l’environnement et de la contribution du numérique aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.